Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/363

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d’elles, la plus jeune, se lève en criant : « De la glace ! de la glace ! » Et vite elle court à la cheminée prendre un morceau de glace qu’elle vient présenter au petit Chose ; mais le petit Chose n’en veut pas… Doucement il repousse la main qui cherche ses lèvres ; — c’est une main bien fine pour une main de garde-malades ! — Et tout bas d’une voix qui tremble, il dit :

— Bonjour, Camille…

Camille Pierrotte est si surprise d’entendre parler le moribond qu’elle reste là tout interdite, le bras tendu, la main ouverte, avec son morceau de glace claire qui tremble au bout de ses doigts roses de froid.

— Bonjour, Camille ! reprend le petit Chose. Oh ! je vous reconnais bien, allez !… J’ai toute ma tête maintenant… Et vous ? Est ce que vous me voyez ?… Est-ce que vous pouvez me voir ?

Camille Pierrotte ouvre de grands yeux

— Si je vous vois. Daniel !… Je crois bien que je vous vois !…

Alors, à l’idée que l’armoire a menti, que Camille Pierrotte n’est pas aveugle, que le rêve, l’horrible rêve, ne sera pas vrai jusqu’au bout, le petit Chose reprend courage et se hasarde à faire d’autres questions :

— J’ai été bien malade, n’est-ce pas, Camille ?

— Oh ! oui, Daniel, bien malade…

— Est-ce que je suis couché depuis longtemps ?…

— Il y aura demain trois semaines…

— Miséricorde ! trois semaines !… Déjà trois semaines que ma pauvre mère Jacques…