Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/38

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pauvre de moi ! j’eus beau la lire et la relire, et la tourner dans tous les sens, je ne pus lui faire dire autre chose que ce qu’elle avait dit d’abord, ce que je savais bien qu’elle dirait :

« Il est mort ! Priez pour lui ! »

Combien de temps je restai là, debout, pleurant devant cette dépêche ouverte, je l’ignore. Je me souviens seulement que mes yeux me cuisaient beaucoup, et qu’avant de sortir de ma chambre, je baignai mon visage longuement. Puis, je rentrai dans la salle à manger, tenant dans ma petite main crispée la dépêche trois fois maudite.

Et maintenant, qu’allais-je faire ? Comment m’y prendre pour annoncer l’horrible nouvelle à mon père, et quel ridicule enfantillage m’avait poussé à la garder pour moi seul ? Un peu plus tôt, un peu plus tard, est-ce qu’il ne l’aurait pas su ? Quelle folie ! Au moins, si j’étais allé droit à lui lorsque la dépêche était arrivée, nous l’aurions ouverte ensemble ; à présent, tout serait dit.

Or, tandis que je me parlais à moi-même, je m’approchai de la table et je vins m’asseoir à côté de M. Eyssette, juste à côté de lui. Le pauvre homme avait fermé ses livres et, de la barbe de sa plume, s’amusait à chatouiller le museau blanc de Finet. Cela me serrait le cœur qu’il s’amusât ainsi. Je voyais sa bonne figure que la lampe éclairait à demi, s’animer et rire par moments, et j’avais