Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/37

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Oh ! oui, je te tenais cachée sous ma blouse, dépêche de malheur ! Je ne voulais pas que M. Eyssette te vît ; car d’avance je savais que tu venais nous annoncer quelque chose de terrible, et lorsque je t’ouvris, tu ne m’appris rien de nouveau, entends-tu, dépêche ! Tu ne m’appris rien que mon cœur n’eût déjà deviné.

— C’était un pauvre ? me dit mon père en me regardant.

Je répondis sans rougir : « C’était un pauvre » ; et pour détourner les soupçons, je repris ma place à la croisée…

J’y restai encore quelque temps, ne bougeant pas, ne parlant pas, serrant contre ma poitrine ce papier qui me brûlait.

Par moments, j’essayais de me raisonner, de me donner du courage, je me disais : « Qu’en sais-tu ? c’est peut-être une bonne nouvelle. Peut-être on écrit qu’il est guéri… » Mais, au fond, je sentais bien que ce n’était pas vrai, que je me mentais à moi-même, que la dépêche ne dirait pas qu’il était guéri.

Enfin, je me décidai à passer dans ma chambre pour savoir une bonne fois à quoi m’en tenir. Je sortis de la salle à manger, lentement, sans avoir l’air ; mais quand je fus dans ma chambre, avec quelle rapidité fiévreuse j’allumai ma lampe ! Et comme mes mains tremblaient en ouvrant cette dépêche de mort ! Et de quelles larmes brûlantes je l’arrosai, lorsque je l’eus ouverte !… Je la relus vingt fois, espérant toujours m’être trompé ; mais,