Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/72

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s’agitaient d’un air féroce : « Frinc ! frinc ! frinc ! tas de drôles, on ne travaille donc plus ici ! »

J’essayai tout tremblant d’apaiser les terribles clefs.

— Ces messieurs ont beaucoup travaillé, ces jours-ci, balbutiai-je… J’ai voulu les récompenser en leur racontant une petite histoire. »

M. Viot ne me répondit pas. Il s’inclina en souriant, fit gronder ses clefs une dernière fois et sortit.

Le soir, à la récréation de quatre heures, il vint vers moi, et me remit, toujours souriant, toujours muet, le cahier du règlement ouvert à la page 12 : Devoirs du maître envers les élèves.

Je compris qu’il ne fallait plus raconter d’histoires et je n’en racontai plus jamais.

Pendant quelques jours, mes petits furent inconsolables. Jean Lapin leur manquait, et cela me crevait le cœur de ne pouvoir le leur rendre. Je les aimais tant, si vous saviez, ces gamins-là ! Jamais nous ne nous quittions… Le collège était divisé en trois quartiers très distincts : les grands, les moyens, les petits ; chaque quartier avait sa cour, son dortoir, son étude. Mes petits étaient donc à moi, bien à moi. Il me semblait que j’avais trente-cinq enfants.

À part ceux-là, pas un ami. M. Viot avait beau me sourire, me prendre par le bras aux récréations, me donner des conseils au sujet du règlement, je ne l’aimais pas, je ne pouvais pas l’aimer ; ses clefs me faisaient trop peur. Le principal, je ne