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LETTRES DE MON MOULIN.

C’était ce qu’on appelle le relais de Saint-Vincent : cinq ou six mas, de longues granges à toiture rouge, un abreuvoir sans eau dans un bouquet de figuiers maigres, et, tout au bout du pays, deux grandes auberges qui se regardent face à face de chaque côté du chemin.

Le voisinage de ces auberges avait quelque chose de saisissant. D’un côté, un grand bâtiment neuf, plein de vie, d’animation, toutes les portes ouvertes, la diligence arrêtée devant, les chevaux fumants qu’on dételait, les voyageurs descendus buvant à la hâte sur la route dans l’ombre courte des murs ; la cour encombrée de mulets, de charrettes ; des rouliers couchés sous les hangars en attendant la fraîche. À l’intérieur, des cris, des jurons, des coups de poing sur les tables, le choc des verres, le fracas des billards, les bouchons de limonades qui sautaient, et, dominant tout ce tumulte, une voix joyeuse, éclatante, qui chantait à faire trembler les vitres :