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LETTRES DE MON MOULIN.


— Tais-toi, boulanger.

Le boulanger n’y prit pas garde et continua :

— Vous croyez peut-être, monsieur, qu’après son retour d’Espagne la belle s’est tenue tranquille… Ah mais non !… Son mari avait si bien pris la chose ! Ça lui a donné envie de recommencer… Après l’Espagnol, ç’a été un officier, puis un marinier du Rhône, puis un musicien, puis un… Est-ce que je sais ?… Ce qu’il y a de bon, c’est que chaque fois c’est la même comédie. La femme part, le mari pleure ; elle revient, il se console. Et toujours on la lui enlève, et toujours il la reprend… Croyez-vous qu’il a de la patience, ce mari-là ! Il faut dire aussi qu’elle est crânement jolie, la petite rémouleuse… un vrai morceau de cardinal : vive, mignonne, bien roulée ; avec ça, une peau blanche et des yeux couleur de noisette qui regardent toujours les hommes en riant… Ma foi ! mon Parisien, si vous repassez jamais par Beaucaire.

— Oh ! tais-toi, boulanger, je t’en prie…,