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LETTRES DE MON MOULIN.

terre avec rage et abattait à lui seul le travail de dix journaliers… Le soir venu, il prenait la route d’Arles et marchait devant lui jusqu’à ce qu’il vît monter dans le couchant les clochers grêles de la ville. Alors il revenait. Jamais il n’alla plus loin.

De le voir ainsi, toujours triste et seul, les gens du mas ne savaient plus que faire. On redoutait un malheur… Une fois, à table, sa mère, en le regardant avec des yeux pleins de larmes, lui dit :

— Eh bien ! écoute, Jan, si tu la veux tout de même, nous te la donnerons…

Le père, rouge de honte, baissait la tête…

Jan fit signe que non, et il sortit…

À partir de ce jour, il changea sa façon de vivre, affectant d’être toujours gai, pour rassurer ses parents. On le revit au bal, au cabaret, dans les ferrades. À la vote de Fonvieille, c’est lui qui mena la farandole.

Le père disait : « Il est guéri. » La mère, elle, avait toujours des craintes et plus que jamais surveillait son enfant… Jan couchait avec Cadet, tout près de la magnanerie ; la