Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/110

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train de mettre les trois couverts, monsieur, madame et Bompard, autour de la corbeille fleurie, tous les jours renouvelée, que Rosalie voulait sur la table à chaque repas. Il se sentait tout joyeux de ne pas dîner là. Le tumulte d’enthousiasme qu’il avait laissé sur ses talons s’entendait derrière la porte fermée, l’excitait à chercher encore le monde, les lumières. Et puis, le Méridional n’est pas homme d’intérieur. Ce sont les gens du Nord, les climats pénibles qui ont inventé le « home », l’intimité du cercle de famille auquel la Provence et l’Italie préfèrent les terrasses des glaciers, le bruit et l’agitation de la rue.

Entre la salle à manger et le cabinet de l’avocat, il fallait traverser le petit salon d’attente, ordinairement plein de monde à cette heure, de gens inquiets guettant la pendule, l’œil sur des journaux à images avec toutes les préoccupations d’un procès. Ce soir Méjean les avait congédiés, pensant bien que Numa ne pourrait donner de consultation. Quelqu’un pourtant était resté, un grand garçon, empaqueté dans des vêtements de confection, gauche comme un sous-officier en bourgeois.

— Hé ! adieu…, monsieur Roumestan… comment ça va ?… En voilà du temps que je vous espère.

Cet accent, ce teint bistré, cet air vainqueur et jeannot, Numa se souvenait bien d’avoir vu cela quelque part, mais où donc ?

— Vous connaissez plus ? fit l’autre… Valmajour, le tambourinaire !

— Ah ! oui, très bien… parfaitement.

Il voulait passer. Mais Valmajour lui barrait la