Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/115

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« Va bien… va bien, monsieur le ministre… »

Il gagnait la porte à reculons, ébloui par l’éclat des ordres officiels et l’extraordinaire expression de Numa transfiguré. Celui-ci resta très flatté de cette timidité subite qui lui donnait une haute opinion de ce qu’il appela désormais « son air ministre », la lippe majestueuse, le geste contenu, le grave froncement des sourcils.

Quelques instants après, Son Excellence roulait vers la gare, oubliant cet incident ridicule dans le mouvement berceur du coupé aux lanternes claires qui l’emportait rapidement vers de hautes et nouvelles destinées. Il préparait déjà les effets de son premier discours, combinait des plans, sa fameuse circulaire aux recteurs, pensait à ce qu’allait dire le pays, l’Europe, le lendemain, en apprenant sa nomination, lorsque à un tournant du boulevard, dans le rayon lumineux du gaz sur l’asphalte mouillée, la silhouette du tambourinaire lui apparut, plantée au bord du trottoir, sa longue caisse battant aux jambes. Assourdi, ahuri, il attendait, pour traverser, un arrêt dans le va-et-vient des voitures, innombrables à cette heure où tout Paris se hâte de rentrer, les petites charrettes à bras filant entre les roues des fiacres, et les omnibus pleins oscillant de l’impériale, pendant que sonnent les cornets à bouquin des tramways. Dans la nuit qui venait, la buée que l’humidité de la pluie dégageait de cette fièvre, dans cette vapeur de foule en activité, le malheureux paraissait si perdu, si dépaysé, aplati sous l’écrasement des hautes parois de ces maisons à cinq étages, il ressemblait