Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/152

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oeil, une déclaration muette en pleine rue, savez-vous ce que je fais ?… Je prends un de mes aides de camp, jeune, de la dent, du plastron, et je me paie de sortir à son bras, s… n… d… D… !

Roumestan se tut jusqu’à Paris. Sa mélancolie du matin le reprenait, mais avec de la colère en plus, une indignation contre la sottise aveugle des femmes qui peuvent se toquer pour des niais et des bellâtres. Qu’est-ce qu’il avait de rare, ce Lappara, voyons ? Sans se mêler au débat, il caressait sa barbe blonde d’un air fat, les vêtements précis, l’encolure très ouverte. On l’aurait claqué. C’est cet air là qu’il devait prendre pour chanter le duo de Mireille avec cette petite Bachellery… sa maîtresse, bien sûr… Cette idée le révoltait ; mais, en même temps, il aurait voulu savoir, se convaincre.

À peine seuls, pendant que son coupé roulait vers le ministère, il demanda brutalement, sans regarder Lappara :

— Il y a longtemps que vous connaissez ces femmes ?

— Quelles femmes, monsieur le ministre ?

— Mais ces dames Bachellery, allons !

Sa pensée en était pleine. Il croyait que tous y songeaient comme lui. Lappara se mit à rire.

Oh ! oui, il y avait longtemps ; c’étaient des payses à lui. La famille Bachellery, les Folies-Bordelaises, tous les bons souvenirs de ses dix-huit ans. Son cœur de lycéen avait battu pour la maman, à faire sauter tous les boutons de sa tunique.

« Et aujourd’hui il bat pour la fille ? demanda Roumestan d’un ton léger en essuyant la vitre