Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/221

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qu’on l’attendait pour cette première pierre du lycée de Chambéry, une promesse faite en l’air et qui y serait probablement restée, si Chambéry n’eut été voisin d’Arvillard où, par un hasard providentiel, Jarras, le médecin et l’ami du ministre, venait d’envoyer mademoiselle Le Quesnoy.

Ils se rencontrèrent, dès l’arrivée, dans le jardin de l’hôtel. Elle, très surprise de le voir, comme si le matin même elle n’avait lu l’annonce pompeuse du Journal des Baigneurs, comme si depuis huit jours toute la vallée par les mille voix de ses forêts, de ses fontaines, ses innombrables échos, n’annonçait la venue de l’Excellence :

— Vous, ici ?

Lui, son air ministre, imposant et gourmé :

— Je viens voir ma belle-sœur.

Il s’étonna, du reste, de trouver encore mademoiselle Bachellery à Arvillard. Il la croyait partie depuis longtemps.

— Dame ! il faut bien que je me soigne, puisque Cadaillac prétend que j’ai la voix si malade.

Là-dessus un petit salut parisien du bout des cils, et elle s’éloigna sur une roulade claire, un joli gazouillis de fauvette, qu’on entend encore longtemps après qu’on ne voit plus l’oiseau. Seulement, dès ce jour, elle changea d’allure. Ce ne fut plus l’enfant précoce, toujours à gambader par l’hôtel, à roquer M. Paul, à jouer à la balançoire, aux jeux innocents, qui ne se plaisait qu’avec les petits, désarmait les mamans les plus sévères, les ecclésiastiques les plus moroses par l’ingénuité de son rire et son exactitude aux offices. On vit paraître Alice