Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/229

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Pas besoin d’ausculter cette enfant pour la condamner. Il me suffit de l’avoir vue l’autre jour se jeter voracement sur un bol de framboises, d’avoir regardé à l’inhalation sa main posée sur ses genoux, une main maigre où les ongles bombent, s’enlèvent au-dessus des doigts comme prêts à se détacher. Elle a la phtisie de son frère, elle mourra avant un an… Mais que d’autres le leur apprennent. J’en ai assez donné de ces coups de couteau qui se retournaient contre moi. Je ne veux plus.

Roumestan s’était levé, très effrayé :

— Savez-vous le nom de ces dames, docteur ?

— Non. Elles m’ont envoyé leur carte, je n’ai pas même voulu la voir. Je sais seulement qu’elles sont à notre hôtel.

Et tout à coup, regardant à l’extrémité de l’allée :

« Ah ! mon Dieu, les voilà !… Je me sauve. »

Là-bas, sur le rond-point où la musique envoyait son accord final, c’était un mouvement d’ombrelles, de toilettes gaies s’agitant entre les branches aux premiers coups de cloche des dîners sonnant alentour. D’un groupe animé, causant, les dames Le Quesnoy se détachaient, Hortense grande et svelte dans la lumière, une toilette de mousseline et de valenciennes, un chapeau garni de roses, à la main un bouquet de ces mêmes roses acheté dans le parc.

— Avec qui causiez-vous donc, Numa ? On dirait M. Bouchereau.

Elle était devant lui, éblouissante, dans un si bon jour d’heureuse jeunesse, que la mère elle-même commençait à perdre ses terreurs, laissant se refléter