Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/235

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tamponner ses yeux d’un gros mouchoir lie de vin, elle entendait une voix éraillée murmurer à son oreille : « Du ressort, mademoiselle…toujours du ressort… » Son ami le poitrinaire qui, grimpé sur l’essieu, tendait vers elle un regard d’adieu, deux yeux creusés, rongés, fiévreux, mais étincelants d’énergie, de volonté, et un peu d’émotion aussi. Oh ! les bonnes gens, les bonnes gens…

Hortense ne parlait pas de peur de pleurer.

« Adieu, adieu tous ! »

Le ministre, qui accompagnait ces dames jusqu’à la station lointaine, prenait place en face d’elles. Le fouet claque, les grelots s’ébranlent. Tout à coup Hortense crie : « Mon ombrelle ! » Elle l’avait là, il n’y a qu’un instant. Vingt personnes s’élancent. « L’ombrelle… l’ombrelle… » Dans la chambre, non, dans le salon. Les portes battent, l’hôtel est fouillé de haut en bas :

« Ne cherchez pas… Je sais où elle est. »

Toujours vive, la jeune fille saute hors de la voiture et court dans le jardin vers le berceau de noisetiers où le matin encore elle ajoutait quelques chapitres au roman en cours dans sa petite tête bouillonnante. L’ombrelle était là, jetée en travers sur le banc, quelque chose d’elle-même resté à cette place favorite et qui lui ressemblait. Quelles heures délicieuses passées dans ce coin de claire verdure, que de confidences envolées avec les abeilles et les papillons ! Sans doute elle n’y reviendrait jamais et cette pensée lui serrait le cœur, la retenait. Jusqu’au grincement long de la balançoire qu’à cette heure elle trouvait charmant.