Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/254

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au ministre pour lui, ceci d’un ton assuré, le doigt à la moustache, comme un homme à qui l’on n’a rien à refuser. Du reste, cette attitude hautaine ne lui est pas particulière. Tous ces gens qui attendent une audience, vieux prêtres aux façons béates, en mantelet de visite, professeurs méthodiques et autoritaires, peintres gommeux, coiffés à la russe, épais sculpteurs aux doigts en spatule, ont ce même maintien triomphant. Amis particuliers du ministre, sûrs de leur affaire, tous en arrivant ont dit à l’huissier :

— Il m’attend.

Tous ont la conviction que si Roumestan les savait là ! C’est ce qui donne à cette antichambre de l’instruction publique une physionomie très spéciale, sans rien de ces pâleurs de fièvres, de ces tremblantes anxiétés qu’on trouve dans les salles d’attente ministérielles.

— Avec qui est-il donc ? demande tout haut Valmajour s’approchant de la petite table.

— Le directeur de l’Opéra.

— Cadaillac… va bien, je sais… C’est pour mon affaire…

Après l’insuccès du tambourinaire à son théâtre, Cadaillac s’est refusé à le faire entendre de nouveau. Valmajour voulait plaider ; mais le ministre, qui craint les avocats et les petits journaux, a fait prier le musicien de retirer son assignation, lui garantissant une forte indemnité. C’est cette indemnité qu’on discute sans doute en ce moment, et non sans quelque animation, car le coup de clairon de Numa franchit à tout instant la double