Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/260

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— À qui appartient-elle donc cette rien du tout ?… Le Messager parlait l’autre jour de hautes influences, de protection mystérieuse…

— Je ne sais pas… À Cadaillac sans doute.

Il se détournait pour cacher son embarras, et se rejeta tout à coup en arrière, épouvanté.

— Quoi donc ? demanda Rosalie, regardant aussi par la portière.

L’affiche du skating, immense, de tons criards, qui ressortaient sous le ciel pluvieux et grisâtre, répétait à chaque angle de rue, à chaque place libre sur un mur nu ou des planches de clôture, un troubadour gigantesque, entouré de tableaux vivants en bordure, en tache jaune, verte, bleue, avec l’ocre d’un tambourin jeté en travers. La longue palissade, qui ferme les constructions de l’Hôtel de Ville devant lesquelles leur voiture passait à l’instant, était couverte de cette réclame grossière, éclatante, qui stupéfiait même la badauderie parisienne.

— Mon bourreau ! fit Roumestan avec une désolation comique.

Et Rosalie doucement grondeuse :

— Non… ta victime… Et si c’était la seule ! Mais une autre a pris feu à ton enthousiasme…

— Qui donc ça ?

— Hortense.

Elle lui raconta alors ce dont elle était enfin certaine, malgré les mystères de la jeune fille, son amour pour ce paysan, ce qu’elle avait cru d’abord une fantaisie et qui l’inquiétait maintenant comme une aberration morale de sa sœur.