Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/261

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Le ministre s’indignait.

— Est-ce que c’est possible ?… Ce rustre, ce Jeannot !…

— Elle le voit avec son imagination, et surtout à travers tes légendes, tes inventions qu’elle n’a pas su mettre au point. Voilà pourquoi cette réclame, ce grotesque coloriage qui t’irrite me remplit de joie au contraire. Je pense que son héros va lui paraître si ridicule qu’elle n’osera plus l’aimer. Sans cela, je ne sais de que nous deviendrions. Vois-tu le désespoir de mon père… te vois-tu, toi, beau-frère de Valmajour… Ah ! Numa, Numa… pauvre faiseur de dupes involontaire…

Il ne se défendait pas, s’irritant contre lui-même, contre son « sacré midi » qu’il ne savait pas dompter.

— Tiens, tu devrais rester toujours comme te voilà, tout contre moi, mon cher conseil, ma sainte protection. Il n’y a que toi de bonne, d’indulgente, et qui me comprenne et qui m’aime.

Il tenait sa petite main gantée sous ses lèvres, et parlait avec tant de conviction que des larmes, de vraies larmes lui rougissaient les paupières. Puis, réchauffé, détendu par cette effusion, il se sentit mieux et lorsque, arrivés place Royale il eut aidé sa femme à descendre avec mille précautions tendres, ce fut d’un ton joyeux, libre de tout remords, qu’il jeta à son cocher : « rue de Londres… vite ! »

Rosalie, lente dans sa démarche, entendit vaguement cette adresse et cela lui fit de la peine. Non qu’elle eût le moindre soupçon mais il venait de