Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/305

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Midi… tant mieux. Ça va m’amuser… On se bûchera. »

Il parlait seul, tout au feu des affaires, sans s’apercevoir du mutisme de Rosalie. Il se rapprocha d’elle, tout près, assis sur un pouf, lui faisant lâcher son ouvrage, essayant de lui baiser la main.

« C’est donc bien pressé ce que tu brodes là ?… C’est pour mes étrennes ?… Moi, j’ai déjà acheté les tiennes… Devine. »

Elle se dégagea doucement, le fixa à le gêner, sans répondre. Il avait ses traits fatigués des jours de grande séance, cette détente lasse du visage, trahissant au coin des yeux et de la bouche une nature à la fois molle et violente, toutes les passions et rien pour leur résister. Les figures du Midi sont comme ses paysages, il ne faut les regarder qu’au soleil.

— Tu dînes avec moi ? demanda Rosalie.

— Mais non… On m’attend chez Durand… Un dîner ennuyeux… Té ! je suis déjà en retard, ajouta-t-il en se levant… Heureusement qu’on ne s’habille pas.

Le regard de sa femme le suivait. « Dîne avec moi, je t’en prie. » Et sa voix harmonieuse se durcissait en insistant, se faisait menaçante, implacable. Mais Roumestan n’était pas observateur… Et puis, les affaires, n’est-ce pas ? Ah ! Ces existences d’homme public ne se mènent pas comme on voudrait.

« Adieu, alors… » dit-elle gravement, achevant en elle cet adieu. « … puisque c’est notre destinée ».

Elle écouta rouler le coupé sous la voûte ; ensuite,