Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/340

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

 Seulement, péchère, elle n’en a pas pour longtemps. »

Oh ! non, pas pour bien longtemps. Maintenant elle ne se levait plus, ne quittait plus les oreillers de dentelle où sa petite tête amaigrie devenait de jour en jour méconnaissable, plaquée aux joues d’un fard brûlant, les yeux, les narines, cernés de bleu. Ses mains d’ivoire allongées sur la batiste des draps, près d’elle un petit peigne, un miroir pour lisser de temps en temps ses beaux cheveux bruns, elle restait des heures sans parler à cause de l’enrouement douloureux de sa voix, le regard perdu vers les cimes d’arbres, le ciel éblouissant du vieux jardin de la maison Portal.

Ce soir-là, son immobilité rêveuse durait depuis si longtemps, sous les flammes du couchant qui empourprait la chambre, que sa sœur s’inquiéta :

— Est-ce que tu dors ?

Hortense secoua la tête, comme pour chasser quelque chose :

— Non, je ne dormais pas ; et pourtant je rêvais… Je rêvais que j’allais mourir. J’étais juste à la lisière de ce monde, penchée vers l’autre, oh penchée à tomber… Je te voyais encore, et des morceaux de ma chambre ; mais j’étais déjà de l’autre côté, et ce qui me frappait, c’était le silence de la vie, auprès de la grande rumeur que faisaient les morts, un bruit de ruche, d’ailes battantes, un grésillement de fourmilière, ce grondement que la mer laisse au fond des gros coquillages. Comme si la mort était peuplée, encombrée autrement que la vie…