Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/346

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aux toits irréguliers, aux pointus moucharabiehs au-dessus d’escaliers ébréchés et branlants. Ce grouillement confus de gens et de bêtes somnolentes s’installe sans bruit entre les troncs argentés des gros platanes, déborde sur la chaussée, jusque dans les cours des maisons, remue des odeurs chaudes de litières, des arômes d’herbes et de fruits mûrs. Puis au réveil, la ville se trouve prise de partout par un marché immense, animé, bruyant, comme si toute la Provence campagnarde, hommes et bestiaux, fruits et semailles, s’était levée, rapprochée dans une inondation nocturne.

C’est alors un merveilleux coup d’œil de richesse rustique, variant selon la saison. À des places désignées par un usage immémorial, les oranges, les grenades, les coings dorés, les sorbes, les melons verts et jaunes s’empilent aux éventaires, en tas, en meules, par milliers ; les pêches, figues, raisins s’écrasent dans leurs paniers d’expédition, à côté des légumes en sacs. Les moutons, les petits cabris, les porcs soyeux et roses ont des airs ennuyés au bord des palissades de leurs parcs. Les bœufs accouplés sous le joug marchent devant l’acheteur ; les taureaux, les naseaux fumants, tirent sur l’anneau de fer qui les tient au mur. Et plus loin, des chevaux en quantité, des petits chevaux de Camargue, arabes abâtardis, bondissent, mêlent leurs crinières brunes, blanches ou rousses, arrivent à leur nom « Té ! Lucifer… Té ! l’Estérel… » manger l’avoine dans la main des gardiens, vrais gauchos des pampas bottés jusqu’à mi-jambes. Puis les volailles deux par deux, les