pattes liées et rouges, poules, pintades, gisant aux pieds de leurs marchandes alignées, avec des battements d’ailes à terre. Puis la poissonnerie, les anguilles toutes vives sur le fenouil, les truites de la Sorgue et de la Durance mêlant des écailles luisantes, des agonies couleur d’arc-en-ciel. Enfin, tout au bout, dans une sèche forêt d’hiver, les pelles de bois, fourches, râteaux, d’un blanc écorcé et neuf, se dressant entre les charrues et les herses.
De l’autre côté du Cours, contre le rempart, les voitures dételées alignent sur deux rangs leurs cerceaux, leurs bâches, leurs hautes ridelles, leurs roues poudreuses ; et dans l’espace libre, la foule s’agite, circule avec peine, se bêle, discute et marchande en divers accents, l’accent provençal, raffiné, maniéré, qui veut des tours de tête et d’épaule, une mimique hardie ; celui du Languedoc plus dur, plus lourd, d’articulation presque espagnole. De temps en temps ce remous de chapeaux de feutre, de coiffes arlésiennes ou contadines, cette pénible circulation de tout un peuple d’acheteurs et de vendeurs s’écarte devant les appels d’une charrette retardataire, avançant au pas, à grand effort.
La ville bourgeoise paraît peu, pleine de dédain pour cet envahissement campagnard qui fait pourtant son originalité et sa fortune. Du matin au soir les paysans parcourent les rues, s’arrêtent aux boutiques, chez les bourreliers, les cordonniers, les horlogers, contemplent les jacquemarts de la maison de ville, les vitrines des magasins, éblouis par les dorures et les glaces des cafés comme les bouviers de Théocrite devant le palais des Ptolémées.