Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/352

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deux gouttes de lait au coin des lèvres, et restait calme, visiblement heureux de ces apparitions de têtes aux portières, de ces clameurs grandissantes où se mêlaient bientôt les bêlements, mugissements, piaillements des bêtes prises d’une nerveuse imitation, formidable tutti de cous tendus, de bouches ouvertes, de gueules bées à la gloire de Roumestan et de sa progéniture. Alors même, et tandis que tous dans la voiture tenaient à deux mains leurs oreilles fracassées, le petit homme demeurait impassible, et son sang-froid déridait jusqu’au vieux président qui disait : « Si celui-là n’est pas né pour le forum !… »

Ils espéraient en être quittes en sortant du marché, mais la foule les suivit, s’accroissant à mesure des tisserands du Chemin-Neuf, des ourdisseuses par bandes, des portefaix de l’avenue Berchère. Les marchands accouraient au pas des boutiques, le balcon du cercle des Blancs se chargeait de monde, et bientôt les orphéons à bannières débouchaient de toutes les rues, entonnant des chœurs, des fanfares, comme à une arrivée de Numa, avec quelque chose de plus gai, d’improvisé, en dehors du festival habituel.

Dans la plus belle chambre de la maison Portal, dont les boiseries blanches, les soies flammées dataient d’un siècle, Rosalie, étendue sur une chaise longue, laissant aller son regard du berceau vide à la rue déserte et ensoleillée, s’impatientait à attendre le retour de son enfant. Sur ses traits fins, exsangues, creusés de fatigue et de larmes, où se