Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/353

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

montrait pourtant comme un apaisement heureux, on pouvait lire l’histoire de son existence pendant ces derniers mois, inquiétudes, déchirements, sa rupture avec Numa, la mort de son Hortense, et à la fin la naissance de l’enfant qui emportait tout. Quand ce grand bonheur lui était venu, elle n’y comptait plus, brisée par tant de coups, se croyant incapable de donner la vie. Aux derniers jours elle s’imaginait même ne plus sentir les soubresauts impatients du petit être emprisonné ; et le berceau, la layette toute prête, elle les cachait par une crainte superstitieuse, avertissant seulement l’Anglaise qui la servait : « Si l’on vous demande des vêtements d’enfant, vous saurez où les prendre. »

S’abandonner sur un lit de torture, les yeux clos, les dents serrées, pendant de longues heures coupées toutes les cinq minutes d’un cri déchirant et qui force, subir son destin de victime dont toutes les joies doivent être chèrement payées, ce n’est rien quand l’espoir est au bout ; mais avec l’attente d’une désillusion suprême, dernière douleur où les plaintes presque animales de la femme se mêleront aux sanglots de la maternité déçue, quel épouvantable martyre ! À demi tuée, sanglante, du fond de son anéantissement elle répétait : « Il est mort… il est mort… » lorsqu’elle entendit cet essai de voix, cette respiration criée, cet appel à la lumière, de l’enfant qui naît. Elle y répondit, oh ! de quelle tendresse débordante :

« Mon petit !… »

Il vivait. On le lui apporta. C’était à elle ce petit être au souffle court, ébloui, éperdu, presque aveugle ;