Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/76

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Un déjeuner du Midi, frais et gai à l’œil, rigoureusement maigre, – car tante Portal était à cheval sur ses commandements, – faisant alterner sur la nappe les gros poivrons verts et les figues sanglantes, les amandes et les pastèques ouvertes en gigantesques magnolias roses, les tourtes aux anchois, et ces petits pains de pâte blanche comme on n’en trouve que là-bas, tous plats légers, entre les alcarazas d’eau fraîche et les fiasques de vin doux, tandis qu’au dehors cigales et rayons vibraient et qu’une barre blonde glissait par un entrebâillement dans l’immense salle à manger sonore et voûtée comme un réfectoire de couvent.

Au milieu de la table, deux belles côtelettes pour Numa fumaient sur un réchaud. Bien que son nom fût béni dans les congrégations, mêlé à toutes les prières, ou peut-être à cause de cela même, le grand homme d’Aps avait une dispense de Monseigneur et faisait gras, seul de la famille, découpant de ses mains robustes la chair saignante avec sérénité, sans s’inquiéter de sa femme et de sa belle-sœur, qui s’abreuvaient, comme tante Portal, de figues et de melons d’eau. Rosalie s’y était habituée ; ce maigre orthodoxe de deux jours par semaine faisait partie de sa corvée annuelle, comme le soleil, la poussière, le mistral, les moustiques, les histoires de la tante et les offices du dimanche à Sainte-Perpétue. Mais Hortense commençait à se révolter de toutes les forces de son jeune estomac ; et il fallait l’autorité de la grande sœur pour lui fermer la bouche sur ces saillies d’enfant gâtée qui bouleversaient toutes les idées de madame Portal à l’endroit de l’éducation,