Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/90

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montagne. « Ça serait donc tous des grands seigneurs !… » Mais le futé Provençal garda sa remarque pour lui. Et tandis qu’ils avançaient avec lenteur dans ce paysage dénudé et grandiose, la jeune fille, que la conversation animée de Roumestan avait jetée en plein roman historique, dans le rêve coloré du passé, apercevant là-haut une paysanne assise sur un contrefort au pied des ruines, à demi tournée, la main au-dessus des yeux pour regarder les arrivants, s’imaginait voir quelque princesse coiffée du hennin, au sommet de sa tour, dans une pose de vignette.

L’illusion cessa à peine, lorsque les voyageurs descendant de voiture se trouvèrent en face de la sœur du tambourinaire occupée à tresser des claies en osier pour les vers à soie. Elle ne se leva pas, quoique Ménicle lui eût crié de loin « Vé ! Audiberte, voilà des personnes pour ton frère. » Sa figure fine, régulière, allongée et verte comme une olive à l’arbre ne marqua ni joie ni surprise, garda l’expression concentrée qui rapprochait ses épais sourcils noirs, les nouait tout droit, au-dessous du front entêté, comme d’un lien très dur. Roumestan, un peu saisi de cette réserve, se nomma : « Numa Roumestan… le député…

— Oh ! je vous connais bien… dit-elle gravement, et, laissant son ouvrage en tas à côté d’elle : Entrez un moment… mon frère va venir. »

Debout, la châtelaine perdait de son prestige. Très petite, toute en buste, elle marchait avec un dandinement mal gracieux qui faisait tort à sa jolie tête finement relevée du petit bonnet d’Arles