Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/96

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vers à soie, toutes les richesses du pays disparues. Il fallait trimer au soleil, travailler comme des satyres… Ils avaient bien dans l’avenir l’héritage du cousin Puyfourcat, colon en Algérie depuis trente ans, mais c’est si loin cette Algérie d’Afrique… Et tout à coup l’astucieuse petite personne, pour rallumer Moussu Numa qu’elle se reprochait d’avoir un peu trop refroidi, dit à son frère félinement avec son intonation câline et chantante :

Qué, Valmajour, si tu nous touchais un petit air pour faire plaisir à cette belle demoiselle ?

Ah ! fine mouche, elle ne s’était pas trompée. Au premier coup de baguette, au premier trille emperlé, Roumestan fut repris et délira. Le garçon jouait devant le mas, appuyé à la margelle d’un vieux puits dont la ferrure en arc, enroulée d’un figuier sauvage, encadrait merveilleusement sa taille élégante et son teint de bistre. Les bras nus, la poitrine ouverte, dans ses poudreuses hardes de travail, il avait quelque chose de plus fier et de plus noble encore qu’aux Arènes, où sa grâce s’endimanchait malgré tout d’un vernis théâtral. Et les vieux airs de l’instrument rustique, poétisés du silence et de la solitude d’un beau paysage, éveillant les ruines dorées de leur songe de pierre, volaient comme des alouettes sur ces pentes majestueuses, toutes, grises de lavandes ou coupées de blé, de vigne morte, de mûriers aux larges feuilles dont l’ombre commençait à s’allonger en devenant plus claire. Le vent était tombé. Le soleil au déclin flambait sur la ligne violette des Alpilles, jetait au creux des roches un vrai mirage d’étangs de porphyre liquide,