Page:Daudet - Port-Tarascon, 1890.djvu/287

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une chaise. Le soleil y entre par un fenestron grillagé, à pic sur le Rhône.

C’est de là que, pendant la grande Révolution, les Jacobins ont été précipités dans le fleuve, sur l’air fameux : Dé brin o dé bran, cabussaran…

Et, comme le répertoire populaire ne change pas beaucoup, on nous le chante à nous aussi, ce sinistre refrain. Je ne sais pas où ils ont logé mon pauvre gouverneur ; mais il doit entendre comme moi ces voix qui montent, le soir, des bords du Rhône et il doit faire d’étranges réflexions.

Encore si l’on nous avait mis l’un près de l’autre !… quoique, à vrai dire, j’éprouve, depuis mon arrivée un certain soulagement à être seul, à me reprendre.

L’intimité d’un grand homme est si fatigante à la longue ! Il vous parle toujours de lui et ne s’occupe jamais de ce qui vous intéresse. Ainsi, sur le Tomahawk, pas une minute à moi, pas un instant pour être auprès de ma Clorinde. Tant de fois je me disais « Elle est là-bas ! » Mais je ne pouvais m’échapper. Après dîner, j’avais déjà la partie d’échecs du commodore, puis le reste du jour Tartarin ne me lâchait plus,