Page:Daudet - Port-Tarascon, 1890.djvu/332

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broyant ses drogues avec une colère ! De temps en temps il s’interrompt pour tirer une petite glace de sa poche et regarder son tatouage. Malheureux Ferdinand ! ni pommades ni cataplasmes, rien n’y fait, pas même la petite « soupe à l’ail » conseillée par le docteur Tournatoire. Il en a pour la vie, de ces infernales enluminures.

Moi, cependant, je paquète, j’étiquète, je débite l’aloès et l’« épicacoine », je fais la causette avec le client, je m’amuse de tout ce qui se raconte en ville. Les jours de marché il nous vient beaucoup de monde le mardi et le vendredi, la pharmacie ne désemplit pas. Depuis que les vignes vont mieux, nos paysans se sont remis à se droguer, à se poutringuer. Ils adorent cela, dans la banlieue de Tarascon ; pour eux, se purger c’est une fête. Le reste de la semaine, on est au calme, la sonnette de la boutique tinte rarement. Je passe mon temps à regarder les inscriptions des grands flacons de verre et de faïence blanche, rangés sur les étagères : sirupus gummi, assa fœtida, et le ΦΑΡΜΑΚΟΠΕΙΑ inscrit en grec au-dessus du comptoir entre deux serpents.