Page:Daudet - Port-Tarascon, 1890.djvu/351

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couchant triste, quelques nuages très hauts. Le vent semblait se calmer, tout de même le pont n’était pas rassurant. On s’arrêta à l’entrée et il ne nous demanda pas d’aller plus loin.

« Allons, adieu, mes enfants… »

On s’embrassa ; il commença par Baumevieille, le plus âgé, et finit par moi. Je pleurais, tout ruisselant, sans pouvoir m’essuyer, car j’avais toujours la mallette et le pardessus, et je peux dire que le grand homme a bu mes larmes. Ému lui-même, il prit ses effets, carton d’une main, pardessus sur le bras, la mallette de l’autre main, et comme Tournatoire lui disait :

« Surtout, Tartarin, soignez-vous bien… Climat malsain, Beaucaire… Petite soupe à l’ail… n’oubliez pas. »

Il répondit en clignant de l’œil :

« N’ayez peur… Vous savez le proverbe de la vieille : Au plus la vieille allait, — au plus elle apprenait, — et pour ce, mourir ne voulait. Je ferai comme elle. »

Nous le vîmes s’éloigner sous les arceaux, un peu lourd, mais à bon pas. Le pont tanguait horriblement. Deux ou trois fois il