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Page:Daudet - Port-Tarascon, 1890.djvu/39

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n’en entrait miette ni goutte dans l’abbaye bloquée.

Aussi, d’un côté, les soldats, qui n’avaient jamais vu pareille fête, engraissaient à crever leurs tuniques, les chevaux montraient des croupes luisantes et rebondies, tandis que de l’autre, précaire ! les pauvres Tarasconnais, la rafataille surtout, levés tôt, couchés tard, surmenés, sans cesse en alerte, remuant et brouettant la terre de jour et de nuit, à la brûlure du soleil et des torches, se desséchaient et maigrissaient que c’était pitié.

De plus, les provisions des bons Pères s’épuisaient ; pâtés d’hirondelles et pains-poires tiraient à la fin.

Pourrait-on tenir encore longtemps ?

C’était la question tous les jours discutée sur les remparts et terrassements crevassés par la sécheresse.

« Et les lâches qui n’attaquent pas ! » disaient ceux de Tarascon, montrant le poing aux pantalons rouges vautrés dans l’herbe à l’ombre des pins. Mais l’idée d’attaquer eux-mêmes ne leur venait pas, tant ce brave petit peuple a le sentiment de la conservation.