Page:Daudet - Port-Tarascon, 1890.djvu/90

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sa tête dressée au-dessus du bastingage, elle complétait bien l’ensemble pittoresque et bizarre du chargement, semblait une de ces chimères sculptées à la proue des naufs et chargées de présider aux destinées du voyage. On l’entourait avec respect ; quelques-uns lui parlaient, la flattaient de la main.

En voyant cette émotion, Tartarin craignit qu’elle n’éveillât dans les cœurs le regret de la patrie quittée, et, sur un signe de lui, le capitaine Scrapouchinat commanda tout à coup, d’une voix formidable :

« Machine en avant !… »

Aussitôt éclatèrent les sonneries de la fanfare, les sifflements de la vapeur, les bouillonnements de l’eau sous l’hélice, dominés par la voix d’Excourbaniès : « Fen dé brut !… faisons du bruit !… ». Le rivage s’enfuit d’un bond ; la ville, les tours du roi René, reculèrent dans le lointain, de plus en plus rapetissées, comme brouillées dans la vibrante lumière du soleil sur le Rhône.

Tous, penchés sur les bordages, tranquilles, souriants, indifférents, regardaient la patrie s’en aller, disparaître là-bas, sans plus d’émotion, maintenant qu’ils avaient