Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
ROSE ET NINETTE

filles viendraient ce matin, elle a cueilli ces fleurs à leur intention. »

Le domestique apportant le premier plat, des œufs brouillés aux morilles, la passion de Ninette, fut accueilli d’un cri de joie :

« Tiens, voilà Anthyme… Bonjour, Anthyme. »

Il servait chez les Fagan depuis quelques années, et tout rouge, interloqué lui aussi par l’imprévu de la situation, balbutia :

« Bien le bonjour, mesdemoiselles… »

C’était un Beauceron absolument inculte, des cheveux plats sur un doigt de front ; il semblait qu’on lui eût fait l’ablation de tout le haut de la tête et de ce qu’il y avait dedans. Son incomparable bêtise exaspérait Madame ; et Régis, au moment du divorce, l’avait conservé, peut-être aussi parce qu’Anthyme ayant gardé des relations avec la cuisine de la rue Laffitte, on aurait des nouvelles chaque jour. Cette figure de connaissance, retrouvée dans toute sa rusticité, faisait aux deux enfants le déjeuner plus familier, plus cordial. Et quelle merveille, ce déjeuner dont chaque plat avait été cherché, discuté entre Fagan et son domestique, pour savoir si Mlle Rose aimait le sucre dans les petits pois, si Nina préférait les pots de crème au chocolat ou à la vanille.

Grisées par la gourmandise de ce joli repas, par leurs toilettes nouvelles de printemps, les