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ROSE ET NINETTE

fillettes s’excitaient, oubliaient dans un délicieux bavardage les recommandations maternelles ; surtout la grande Rose, à qui Ninette faisait des signes discrets et répétés. Fagan apprit ainsi et sans le vouloir que, vendredi dernier, « cousin » les avait conduites à l’Opéra-Comique. C’était pourtant, ce « cousin », un des noms interdits ; mais Rose ne pouvait pas se tenir. Alors, pour éviter de ces indiscrétions involontaires qui leur vaudraient des reproches, le soir en rentrant, le père affectait de leur parler de choses indifférentes, de leur couvent qu’on voyait presque d’ici, de ces beaux jardins de l’Assomption où tant d’années elles avaient vécu si heureuses.

Est-ce qu’elles ne le regrettaient pas un peu ? N’y retourneraient-elles pas volontiers ?

« Oh ! ça, non… répondaient les deux voix en une seule.

— Et pourquoi, mes chéries ?… Autrefois, cependant, vous étiez si contentes d’y rentrer… »

Elles hésitaient à répondre, à lui dire ce qu’il devinait si bien. C’est que, depuis le divorce de leurs parents, la maison avait changé pour elles. Vivant dans de perpétuelles disputes, où l’on ne gardait plus de mesure, où parfois même elles étaient obligées à prendre parti : « Vous entendez, mes enfants, comme votre père me parle ! — Madame, vous vous oubliez devant