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ROSE ET NINETTE

vos filles ! » on avait dû les mettre au couvent pour leur épargner ces tristesses. Mais, le père parti, le divorce prononcé, la mère s’était hâtée de les rappeler auprès d’elle, prise tout à coup d’une affectuosité peu compatible avec sa nature dure et capricieuse. Elle semblait vouloir conquérir ses filles ; Mademoiselle adoucissait aussi les âpretés, les sévérités de son rôle de duègne et d’éducatrice.

Cette transformation se faisait visible et caressante aux yeux, même dans la toilette des enfants. Jusqu’alors, la mère ne s’était occupée que de la sienne, y sacrifiant le temps et l’argent nécessaires ; mais rien qu’à voir entrer chez lui ces deux ravissantes vignettes de mode, au lieu des petites converses aux cheveux plats, aux robes de strict uniforme, que l’Assomption lui renvoyait le samedi soir, Fagan avait compris que cette mère, si peu mère auparavant, allait le devenir férocement, et flatter et gâter ses filles, non dans un aveuglement de tendresse, mais par une basse jalousie, un besoin de taquiner, de torturer son ancien mari. Il entrevoyait toute une suite de chagrins, une guerre de coups d’épingle, mais à quoi bon se tourmenter pour le moment ? N’avait-il pas ses filles près de lui, tout contre lui, et jusqu’au soir ? Après déjeuner, il devait les conduire à la matinée du Théâtre-Français, où l’on jouait une de ses pièces qu’elles n’avaient pas encore