Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vais comme elle m’a rendu malheureux, au moment de la séparation, avec ses lettres folles, ses menaces, ses stations sans fin devant ma porte… Six mois avant mon mariage, dix mois, quinze mois après, j’ai vécu dans l’épouvante et l’horreur, ne rêvant qu’assassinat, suicide, vitriol et revolver… Elle avait juré de mourir, mais de tout tuer auparavant… l’homme, la femme, même l’enfant, si j’en avais un. Et pour qui la connaissait bien, ces menaces n’avaient rien d’invraisemblable. Je n’osais conduire ma pauvre femme nulle part, ni sortir à pied avec elle, sans craindre quelque scène ridicule ou tragique… Et pourquoi cela ? Quel droit prétendait-elle sur ma vie ? Je ne lui devais rien, du moins pas plus que les autres, que tant d’autres… J’avais eu trop d’égards, voilà tout. Et puis j’étais jeune, et pas de son monde d’auteurs et de cabotins. On attendait plus de moi… peut-être le mariage et mon nom… ça s’est vu. Ah ! pauvre Loulou, je ne lui en veux plus, mais ce qu’elle m’a embêté !… Mes amis s’étonnaient de ce voyage de noces interminable ; ils peuvent se l’expliquer maintenant, et pourquoi, au lieu de rentrer dans Paris, je suis venu m’enfermer ici, pris d’une passion subite pour la grande culture. Encore n’étais-je pas toujours tranquille, et lorsque le timbre de la grand’porte sur la route sonnait très fort ou à des heures insolites, mon cœur