Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/251

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endormis d’une belle histoire, craignant que je me laisse entraîner à boire après la représentation, elle venait me rejoindre à l’orchestre, s’asseyait à mes pieds sur un petit banc, jusqu’à la fin. Quand la pièce était longue, je sentais en battant la mesure sa petite tête posée sur mes genoux s’appuyer de plus en plus lourde. À une répétition de Froufrou, un jour, la Fédor, qui ne m’avait jamais parlé, vint au bord de la scène et sa main gantée devant ses yeux éblouis par la rampe : « Desvarennes, me dit-elle, envoyez-moi donc ce soir votre fillette dans ma loge, elle y sera mieux pour dormir qu’à l’orchestre et sur vos genoux de bois… » Quand elle eut la sœur, l’idée lui vint que les petits frères couchés tout seuls à l’hôtel pouvaient se réveiller et avoir peur dans leur chambre. Elle prit les petits à dormir chez elle avec la grande ; et une fois qu’elle eut tous les mioches, le père fut de la maison par-dessus le marché… Ah ! femme incomparable, si je t’avais rencontrée plus tôt, que n’aurais-je pas fait de Gaston Desvarennes, de l’élève préféré de Niedermeyer ! mais il était trop tard. À quoi bon des brancards neufs à un attelage fourbu ? Le cahier de mélodies, dont cette âme généreuse paya l’impression, n’a été lu de personne, personne n’a entendu mon oratorio exécuté à ses frais par la maîtrise de Saint-Eustache. Tout cela m’a découragé. Elle n’avait pas non plus