Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/250

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même à cause d’eux que je suis devenu son… son…, enfin ce que j’étais. Car il est extraordinaire qu’un pauvre musico, un misérable raté comme moi, ait pu devenir l’amant de cette grande artiste, de cette créature adorable qui a eu des banquiers, des rois, des princes à quatre pattes sur sa descente de lit et les plus grands noms du théâtre au bas des lettres d’amour les plus éperdues… Voici exactement l’histoire de cette rare bonne fortune. C’était quelques mois après sa fugue de la Comédie-Française ; malgré tout, elle avait dû accepter, faute d’argent, une tournée de villes d’eaux, Vichy, Royat, Aix-les-Bains, où elle jouait quelques-uns de ses plus grands succès, Dora, Froufrou, Diane de Lys, La Visite. Il se trouva qu’à cette époque je dirigeais l’orchestre de Vichy, sans beaucoup d’entrain, je dois le dire. Ma femme venait de me lâcher pour courir après mon premier violon, lequel, lui, se moquait un peu de Mme Desvarennes et ne songeait qu’à tripoter le carton. Toujours me voilà seul à l’hôtel avec mes trois petits, dont les deux derniers, les garçons, parlaient et marchaient à peine. Heureusement la sœur avait neuf ans ; à cet âge, selon la retourne, elles sont déjà ou gadoues ou mamans. Telle que vous la voyez, celle-là, il y a deux ans, savait le soir tremper la soupe au lait des deux petits frères, puis les déshabiller, bien les border dans le lit d’hôtel et lorsqu’elle les avait