Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/269

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droit de dire : « Louise a été infecte, ce soir. » Viande de tattersall, que, devant lui, n’importe quel maquignon pouvait vanter, détailler du sabot à la crinière, de la croupe jusqu’au garrot. « Où est Madame ? » Enfermée avec le directeur, ou en train d’écouter dans sa loge le rôle que lui mijotait l’auteur du jour. Ce qu’il avait ragé, rugi devant cette porte ; et, sur le divan de l’entrée, dans le petit salon bleu où il l’attendait pendant qu’elle était en scène, quelles heures d’angoisse ! Des loges voisines, personne ne le savait là. Alors tous les cabots hommes et femmes, en s’habillant la porte ouverte, en se passant le rouge ou le blanc gras, parlaient sans se gêner, comme lorsqu’ils sont entre eux. C’étaient le long du corridor des fusées de rires immondes, un argot de bagne, des potins de filles à soldats. Et Louise entendait cela, y répondait sans doute quand elle se trouvait seule puisque c’était son monde, sa vie. Tout le cœur de l’amant se soulevait de dégoût à cette idée. Quelquefois, il descendait sur le théâtre, errait derrière les portants, risée des pompiers et des machinistes, blême et contracturé comme l’auteur un soir de première, car sa maîtresse en scène lui donnait toujours la même crispation. Il se sentait encombrant, ridicule. Mais où aller ? Elle jouait tous les soirs, répétait toute la journée au théâtre ; et la savoir sans lui dans ce bouge, livrée à tout son