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SOUVENIR D’UN CHEF DE CABINET

Feuchères, un fantastique cavalier seul baptisé par nous, séance tenante, « le pas des grandeurs » ?

Les bougies du salon éteintes, nous passions dans la chambre, où, pendant que Nina se couchait, moi, pareil à ces machines qui enfin rendues en gare crachent encore un restant de vapeur grondante et fumante, je me mis à écrire à mon beau-père, brave vigneron de Bourgogne, une lettre enfantine, délirante, lui annonçant notre nouvelle position ; et, pour faire comprendre à cette âme simple mais rapace la chance que c’était de courir sous le pavillon de Mora, le fameux brasseur d’affaires, je me lâchai dans des phrases imbéciles…

« À nous le Grand-Central, papa, et les tourteaux de Naples, et les raffineries de Lubeck !… À nous les coups de Bourse, les trafics avec les compagnies, et les gros pots-devin des expropriations ! … Le mot du père Guizot, un ami de la maison : « Enrichissons-nous !… » Quand nous serons vieux et nos chevaux trop gras, l’Académie est là pour les donations vertueuses et l’Officiel pour les restitutions anonymes. »

Ma lettre fermée sur trois pages de cette extravagance, comment la pensée me vint-elle de la porter moi-même à la poste du corps législatif ? les domestiques étaient-ils couchés ? me méfiais-je d’eux ? Ces souvenirs datent de si loin que je ne saurais rien affirmer. Ce qui est