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Les Sanguinaires

trouve de plain-pied avec le rocher, et presque aussitôt il rapporte une racine de tamaris qu’il jette dans l’âtre. Puis il tire de l’armoire et pose à mesure sur la table trois flambeaux, des verres, une bouteille de Frontignan et un pain de Noël à l’anis, cuit exprès pour la circonstance ; tout cela d’un air de belle humeur, avec des clignements d’yeux, une mimique mystérieuse et enfantine qui m’amuse.

Maintenant, voilà les trois chandelles allumées, le pain de Noël doré et rebondi sur une assiette, et le Frontignan en rayon de miel dans nos deux verres. « Minute ! » dit Trophime, retenant mon bras au moment où je vais boire ; et, après avoir arrosé de vin blanc le pied de tamaris tordu comme un souquillon de vigne, il le jette dans le feu avec ces paroles sacramentelles : « Allègre ! allègre ! que Notre-Seigneur nous allègre ! Si, l’an qui vient, nous ne sommes pas plus, mon Dieu, que nous ne soyons pas moins… Bûche au feu, boutefeu ! »

La bûche pétille et flambe jusqu’au plafond. Le vin d’or reluit dans nos verres, et nous trinquons à la Provence, en reprenant le noël qu’il chantait tout à l’heure, le défilé des rois mages devant la crèche de l’enfant Jésus :

Voici le roi maure
Avec ses yeux tout trèvirés ;
L’enfant Jésus pleure,
Le roi n’ose pas entrer.