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ROSE ET NINETTE

des requêtes au Conseil d’État, à la veille de passer conseiller, avait tous ses intérêts à Paris… Elle-même était bien trop Parisienne… et ceci tranquillisa Fagan plus que tout. Il ne se l’imaginait pas, en effet, vivant en province, exilée des premières, de l’hippique, des expositions de tout genre, celles où l’on va pour voir, ou pour être vu. Et comme elle en revenait à son La Posterolle, aux avantages du mariage projeté, il l’écoutait sans déplaisir, lui donnait presque son avis.

Mais la pluie, qui menaçait depuis le matin, commença à tomber, pluie d’automne, menue, pénétrante. De gros nuages s’effrangeaient au-dessus du Luxembourg. Ils ouvrirent leurs parapluies ; puis au bout d’un moment, trop loin de lui pour causer, elle ferma le sien, marcha tout à son côté en l’entretenant de leurs filles. Sa situation nouvelle, si elle s’y décidait, leur procurerait des relations dans le monde officiel, des partis avantageux. L’aînée venait d’avoir seize ans… Que pouvait pour la marier une femme seule, divorcée, gênée dans ses sorties, dans ses réceptions ? Rose et Ninette à la longue souffriraient de cet isolement.

« Mais, vous-même, Régis, ne vous trouvez-vous pas bien seul ? »

Elle disait ces choses tout bas, serrée contre lui pour s’abriter de l’averse qui redoublait. Une brume d’eau noyait l’avenue, ses arbres