Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/121

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le père à reconnaître sa petite et à payer les mois de nourrice. Il n’osa pas refuser, car il devait gros dans la maison, et quand Fanny eut quatre ans il l’emmenait sur sa voiture comme un petit chien, nichée en haut, sous la bâche, amusée de rouler ainsi par les chemins, de voir la lumière des lanternes courir des deux côtés, fumer et haleter le dos des bêtes, de s’endormir au noir, à la bise, en entendant sonner les grelots.

Mais le père Legrand se fatigua vite de cette pose à la paternité ; si peu que ça coûtât, il fallait la nourrir, l’habiller, cette morveuse. Puis elle le gênait pour un mariage avec la veuve d’un maraîcher dont il guignait les cloches à melon, les choux en carrés alignés sur son itinéraire. Elle eut alors la sensation très nette que son père voulait la perdre ; c’était son idée fixe d’ivrogne, se débarrasser de l’enfant à toute force, et si la veuve elle-même, la brave mère Machaume, n’avait pris la fillette sous sa protection…

— Au fait tu l’as connue, Machaume, dit Fanny.