Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/320

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s’arrêtant devant sa froideur, ils restèrent une seconde étonnés, hésitants, comme lorsqu’on se retrouve après ces intimités brisées, de chaque côté d’un pont rompu, d’une distance de rive à rive, et entre soi l’espace immense des flots roulants et engloutissants.

— Bonjour… dit-elle tout bas, sans bouger.

Elle le trouvait changé, pâli. Lui s’étonnait de la revoir si jeune, un peu grossie seulement, moins grande qu’il ne se la figurait, mais baignée de ce rayonnement spécial, cet éclat du teint et des yeux, cette douceur de pelouse fraîche que lui laissaient les nuits de grandes caresses. Elle était donc restée dans le bois, au fond du ravin encombré de feuilles mortes, celle dont le souvenir le rongeait de pitié.

— On se lève tard à la campagne… fit-il d’un accent ironique.

Elle s’excusait, prétextait une migraine, et, comme lui, employait des formes impersonnelles, ne sachant dire ni toi, ni vous ; puis à l’interrogation muette qui lui montrait le repas desservi :

— C’est l’enfant… il a déjeuné là ce matin avant de s’en aller…