Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/339

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sentir si beau, si jeune, toujours trembler, tant de choses à défendre !… Maintenant je n’en peux plus, tu m’as trop fait vivre, trop fait souffrir, je suis à bout.

« Dans ces conditions, la perspective de ce grand voyage, de ce déménagement d’existence, me fait peur. Moi qui aime tant ne pas bouger et qui ne suis jamais allée plus loin que Saint-Germain, tu penses ! Et puis les femmes vieillissent trop vite au soleil, et tu n’aurais pas encore trente ans que je serais jaunie et fripée comme maman Pilar ; c’est pour le coup que tu m’en voudrais de ton sacrifice et que la pauvre Fanny payerait pour tout le monde. Ecoute, il y a un pays d’Orient, j’ai lu ça dans un de tes Tour du Monde, où, quand une femme trompe son mari, on la coud vivante avec un chat, en une peau de bête toute fraîche, puis on lâche le paquet sur la plage hurlant et bondissant en plein soleil. La femme miaule, le chat griffe, tous deux s’entre-dévorent pendant que la peau se racornit, se resserre sur cette horrible bataille de captifs, jusqu’au dernier râle, jusqu’à la dernière palpitation du sac. c’