Aller au contenu

Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/136

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

verte découpaient en carrés les pavés inégaux, dans un petit pavillon envahi d’un reflet de vignes vierges, pan oublié de l’hôtel Richelieu. Dedans, vieilles boiseries Louis XIII, dorures presque éteintes, cinq mètres de plafond ; dehors, balcon en fer forgé mangé de rouille à sa base. C’était bien là le cadre qu’il fallait à cette histoire mélancolique. Dans ce grand cabinet de travail je retrouvais, chaque matin, les personnages de mon imagination, vivants, comme des êtres, en groupes autour de ma table. La besogne fut acharnée, tyrannique. Je n’avais d’autres sorties que le matin, dans le petit jour d’hiver, la conduite de mon fils au lycée Charlemagne par les ruelles éclaboussantes de ce coin du Marais, passage Eginhard, le ghetto où fermentait la brocante du père Leemans et où je croisais la descente sur Paris des petites ouvrières bien peignées, graine de Séphoras aux nez arqués, allantes et rieuses. De temps à autre une course en ville, une poursuite de renseignement, une recherche de maison, l’antre de Tom Lewis, le couvent des Franciscains, rue des Fourneaux.