Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/137

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Tout à coup, au cœur du livre, en pleine effervescence de ces heures cruelles qui sont les meilleures de la vie, interruption subite, craquement de la machine surmenée. Cela commença, en travaillant, par des sommes d’une minute, des assoupissements d’oiseau, un tremblement d’écriture, une langueur interrompant la page, troublante, invincible. Il fallut s’arrêter au milieu de l’étape, laisser passer la fatigue. Je comptais sur les soins du bon docteur Potain, sur le repos de la campagne, pour rendre le ressort et la force à mes nerfs distendus. De fait, après un mois de Champrosay, d’ivresse de senteurs vertes dans les bois de Sénart, ce fut un bien-être, une dilatation extraordinaire. Le printemps montait ; ma sève réveillée bouillonnait, fermentait comme la sienne, refleurissait les attendrissements de ma vingtième année. Inoubliable m’est restée l’allée de forêt où dans la feuillure épaisse des noisetiers et des chênes verts, j’ai écrit la scène du balcon de mon livre. Puis, brusquement, sans douleur, une hémoptysie violente m’éveillait, la bouche âcre et sanglante. J’eus