Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/169

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Élisa dont il avait eu l’idée avec son frère.

Ce n’était pas précisément encore écrire seul, c’était comme un prolongement du travail à deux, une collaboration posthume. Le livre eut du succès, se vendit beaucoup. Triomphe plein de douceur triste dans un renouvellement de douleur, et plus que jamais l’éternel : « Ah ! s’il était là ».

Mais désormais le charme était rompu, le frère inconsolé se réveillait homme de lettres ; et comme l’Art tient toujours à la vie par un invisible fil, le premier livre qu’il écrivait seul allait être l’histoire de cette existence à deux, de cette collaboration tragiquement brisée, de son désespoir de mort-vivant et de sa résurrection douloureuse. Le livre s’appelle Les Frères Zemganno.

Nous écoutions émus, ravis, le cœur serré, regardant au dehors par les vitres claires les lianes, les arbustes rares aux feuilles luisantes et laquées du petit jardin demeuré vert malgré la saison. Le dégel commençait, étoilant le bassin, mouillant les rocailles, tandis qu’un soleil de fin d’hiver mettait un sourire sur la neige. Ce sourire, ce soleil