Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/191

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pathie pour le fils de son ancienne camarade, ce jeune révolté au sang calme, au sourire bon enfant, et il le fit entrer à la Comédie-Française, comme cinquième ou sixième amoureux de répertoire. Dupuis n’y resta pas longtemps. Un jour Fechter, qui tenait dans la maison le même emploi que lui et ne jouait pas davantage, lui dit tout bas dans un coin du foyer : « Si nous filions ?… On meurt ici… — Filons », dit Dupuis, et voilà nos jeunes premiers partis pour Londres, pour Berlin, chantant « Je suis Lindor » aux quatre coins de l’Europe, mal payés, peu compris, applaudis de travers, mais jouant, ayant des rôles, ce que les débutants préfèrent à tout. Deux ans après, vers 1850, nous retrouvons notre comédien au Gymnase, entre les mains de Montigny, qui le premier comprit ce qu’il y avait à tirer de ce beau garçon un peu lent, un peu mou, l’assouplit par un travail acharné, des créations multiples et diverses, le grima en vieux, en ouvrier, en raisonneur, en père noble, mit en œuvre toutes ses facultés d’observation, de finesse, de sensibi-