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Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/209

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siens affamés d’un lait quelconque, le commerce des femmes-mères. C’est du côté du Jardin des Plantes, au bout d’une de ces rues paisibles, demeurées provinciales en plein Paris, avec des pensions, des tables d’hôte, des maisonnettes à jardinet, peuplées de vieux savants, de petits rentiers et de poules ; sur la façade d’un antique logis à grand porche, une enseigne à lettres roses étale ce simple mot : Nourrices.

Devant la porte, par groupes ennuyés, flânent des femmes en guenilles, avec des enfants sur les bras. On entre : un pupitre, un guichet grillé, le dos de cuivre d’un grand-livre, du monde qui attend sur des banquettes, l’éternel bureau, le même toujours, également correct et froid, aux halles comme à la Morgue, qu’il s’agisse d’expédier des pruneaux ou d’enregistrer des cadavres. Ici c’est de la chair vivante qu’on trafique.

Comme on reconnaît en vous des personnes « bien », on vous épargne la banquette d’attente, et vous voici dans le salon.

Du papier à fleurs sur les murs, le carreau