Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/232

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figuraient des paliers d’étage, si bien que les invités du fond paraissaient grimpés sur une estrade, et, de là, humiliaient les derniers arrivés, rapetissés, enfoncés jusqu’au menton dans les bas-fonds de la première pièce. Vous pensez si c’était commode pour danser. N’importe ! Une fois par mois, il se donnait là une grande soirée. On faisait venir les divans d’un petit café d’en face, et avec les divans un garçon en escarpins, en cravate blanche, le seul des invités qui eût une chaîne et une montre en or. Il fallait voir la maîtresse de maison affolée, décoiffée, toute rouge de tant de préparatifs, courir après cet homme, le poursuivre de pièce en pièce en l’appelant : « Monsieur le garçon… Monsieur le garçon !… »

Et le public de ces soirées-là ! Ce public toujours le même qu’on rencontre partout, qui se connaît, se cherche, s’attire. Tout un monde de vieilles dames et de jeunes filles à toilettes ambitieuses et fanées ; le velours est en coton, la percaline joue la soie, et l’on sent que toutes ces franges défraîchies, ces fleurs chiffonnées, ces rubans