Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/247

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

temps avec colère. L’autre, toujours calme, lui faisait tête ; et à chaque nouveau coup il me semblait qu’un méchant sourire dédaigneux, presque imperceptible, plissait sa lèvre aristocratique. J’entendis annoncer « la belle ! » puis un violent coup de poing sur la table ; c’était fini, le malheureux avait tout perdu.

Il resta un moment atterré, regardant ses cartes sans rien dire, avec sa redingote en cœur toute remontée, sa chemise froissée, mouillée comme s’il venait de se battre. Puis tout à coup, voyant le duc ramasser les pièces d’or dispersées sur le tapis, il se leva avec un cri terrible : « Mon argent, N. de D. ! rendez-moi mon argent ! » et aussitôt, comme un enfant qu’il était encore, il se mit à sangloter : « Rendez-le-moi,… rendez-le-moi ! » Ah ! je vous réponds qu’il ne zézayait plus. Sa voix naturelle lui était revenue, navrante comme celle des êtres très forts chez qui les larmes arrivent par paquets et sont une vraie souffrance. Toujours froid, toujours ironique, son partenaire le regardait sans sourciller… Alors le